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30 octobre 2006

Mon compagnon le transat

Les promeneurs qui profitaient d’une belle journée d’hiver courant janvier ont pu croiser un homme affublé d’une sacoche et d’un transat pour nourrissons. Je suis cet individu. La présence de la sacoche s’explique, celle du transat surprend davantage. Nous l’avions oublié chez Pierre Cormary (La presse littéraire est une grande famille, de celle que nous ne haïssons pas), je suis allé le récupérer. A mon retour triomphal à la maison, Amélie ne lui a même pas jeté un seul regard. Il faisait déjà partie de son –court– passé alors qu’elle se dirige à grands pas vers son avenir. Quelques jours auparavant, lors du réveillon de Noël, le jeune Aldo, boxer de son état, n’avait pas manifesté le même dédain pour le précieux fauteuil, terme employé par Raphaël Juldé dans son journal. Il avait envisagé de s’assoupir dedans, sans pouvoir mener à bien son projet. Scène de Noël : nous tentions de faire dormir Amélie pendant que ses maîtres essayaient de réveiller Aldo pour qu’il consente enfin à percevoir l’existence de sa gamelle.

Parmi les nombreuses déceptions qui parsèment nos existences, parmi les croix portées par nos frêles épaules, celle d’ouvrir un livre pour découvrir une typographie formée d’immenses caractères n’est pas la moindre, surtout lorsque l’ouvrage ne comporte que peu de pages. De belles collections permettent d’échapper à cet outrage en offrant à leurs lecteurs des volumes regroupant plusieurs titres, permettant de découvrir ou de retrouver certaines facettes de quelques joyaux de la littérature. Ainsi, La Pochothèque permet au modeste lecteur de se transformer en érudit en lui proposant les Romans et Nouvelles d’Hermann Hesse. Le volume commence par son premier roman, Peter Camenzind, rédigé entre 1900 et 1903. « Au commencement était le mythe. Le grand dieu qui, dans son effort pour s’exprimer, le fit éclore dans l’âme primitive des Hindous, des Grecs et des Germains le crée aussi chaque jour à nouveau dans toute âme d’enfant. » Dans la préface de Peter Camenzind (le livre comporte une préface générale, titrée A la recherche du moi perdu, puis une par titre), Pierre Labaye décrit Hermann Hesse comme un écrivain à la fois baroque, romantique et classique : « Dans ce livre, Hesse apparaît déjà comme un écrivain engagé dans un combat pour la défense d’une idée de l’homme complet, dans son intégralité physique et spirituelle. Il se révèle aussi comme un esprit curieux, éclectique, à la fois baroque, romantique et classique. Il est baroque par le foisonnement de ses motifs, son scepticisme, son sens de la vanité de la puissance, son angoisse devant la mort. Il est romantique par sa mélancolie, sa nostalgie, sa fascination pour le merveilleux, comme par son mysticisme et son obsession de la solitude. Il est classique enfin par son aspiration à la sérénité, au repos, par son sens de la cohérence, de l’harmonie et de l’unité. » Peter Camenzind est suivi de L’Ornière (1906), « deuxième roman à succès du jeune Hermann Hesse ; au-delà de la notoriété, il apportera à l’auteur la certitude du bien-fondé de sa vocation d’écrivain » (Horst Hombourg). Viennent ensuite Rossbalde, Knulp, Demian, Le Dernier Eté de Klingsor, Siddbartha, Enfance d’un magicien, Le Loup des steppes, Narcisse et Goldmund, Le Voyage en Orient et Le Jeu des Perles de Verre. Dans les dernières pages de Romans et nouvelles (près de 1900 les précèdent), comme pour remercier le lecteur du temps qu’il a passé en si bonne compagnie, se cachent deux autres préfaces, celle du traducteur Jacques Martin pour Le Jeu des Perles de Verres et celle d’André Gide pour Le Voyage en Orient. « Chez Hesse, l’expression seule est tempérée, non point l’émotion ni la pensée ; ce qui tempère l’expression de celles-ci, c’est le sentiment exquis des convenances, de la réserve, de l’harmonie, et, par rapport au cosmos, de l’interdépendance des choses ; c’est aussi je ne sais quelle latente ironie, dont bien peu d’Allemands me semblent capables, et dont l’absence totale me gâte si souvent tant d’œuvres de tant de leurs auteurs, qui se prennent effroyablement au sérieux. Il est difficile de s’expliquer là-dessus, car enfin nous tombons, en France, volontiers dans l’excès contraire, et je n’ai garde de faire l’apologie de nos défauts. Pour les convictions à œillères de Rousseau, je céderais souvent les plus amusantes malices de Voltaire ; mais combien chez Pascal, par exemple, le rire des Provinciales approfondit pour moi la gravité des Pensées ! (…) Il y a des ironies aigres, où s’épanchent la bile et les humeurs peccantes ; mais celle, de qualité si charmante, de Hesse me semble dépendre de la faculté de se quitter soi-même, de se voir sans se regarder, de se juger sans complaisance ; c’est une forme de la modestie, qui devient d’autant plus seyante que plus de dons et de vertus l’accompagnent. »

Lorsque j’ai repris le métro quelques jours après, je me sentais léger sans mon compagnon le transat. Comment sembler en effet à la fois baroque, romantique et classique les bras encombrés d’un tel objet ?

A lire :

Hermann Hesse, Romans et Nouvelles, La Pochothèque Le Livre de Poche. 

La presse Littéraire, février 2006.

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