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8 octobre 2006

Thomas Pynchon

Thomas Pynchon se tait. On ne le voit pas. Il écrit. Trois photos de lui, quelques images volées par CNN : le culte du secret. On le qualifia d'écrivain post-moderne. Alors que le roman moderne repose sur le domaine de la connaissance, du savoir, le roman post-moderne s'intéresse au domaine de l'être, du possible. Le roman moderne s'intéresse à la complexité du monde et à son incohérence (Dos Passos, Kundera par exemple) alors que le roman post-moderne explore l'univers des possibles (Joyce, Gide par exemple). Il fait partie du Roman de l'Amérique, au même titre que Faulkner, Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos, Nabokov, Salinger, London, Miller, Kerouac, MCCullers, Ellroy, Auster ou encore De Lillo.

Celui dont le NY Times (28/4/1963) décrivait comme, " un éternel lecteur (qui lit des maths pour le plaisir), du genre de ceux qui commencent leur journée à une heure de l'après-midi avec des spaghettis et un soda et la finissent à trois heures du matin sans cesser d'avoir lu ", mérite d'être savouré.

"Ce qui m'intéresse avant tout dans la littérature, c'est l'énergie, je ne sais pas comment le dire autrement, je dirais presque l'énergie par centimètre carré de matière écrite. Il y a de la littérature qui marche sur 2 volts 5, ça peut être très estimable, mais ça ne m'épate pas beaucoup, je préfère celle qui fait péter les fusibles. De ce point de vue, Pynchon (je pense à V et à L'Arc-en-ciel …) est radioactif.
Ses pages m'évoquent ce que Miller disait à propos de Moravagine, qui m'a toujours semblé une des plus belles images pour qualifier le style : il avait eu l'impression, disait-il, de "lire un texte phosphorescent à travers des lunettes de soudeur " Eh bien voilà, Pynchon aussi, ça brûle la rétine.
Et puis une autre image me vient : on a l'impression que ce n'est pas seulement écrit à la surface de la page, mais aussi par en dessous. Ça s'enfonce sous la page, ça grouille sous la page. Chaque phrase apparente, chaque phrase lue, "en surface", n'est qu'une coupe dans un volume de phrases entrecroisées, souterraines, comme un bloc de racines verbales. D'où la puissance.
Tout cela me fait penser aussi à la distinction que fait Barthes dans Le plaisir du texte entre "littérature de plaisir" et "littérature de jouissance" : dans la jouissance, dit-il à peu près, et la littérature de jouissance, il n'y a pas cet élément d'habitude, de routine culturelle, qu'il y a dans le plaisir ça secoue, ça met hors de soi, ça fait perdre tous les repères.
Pynchon, c'est clairement ça, de la littérature de jouissance. Et "ça peut aller jusqu'à un certain ennui", dit honnêtement Barthes. Ah oui, c'est vrai, Pynchon, ça n'est pas "facile". Faulkner non plus, ni... ceux qui comptent vraiment, non ?
"(Olivier Rolin In Les Inrockuptibles).

"Le héros de cet étrange et fantasque aventure littéraire se nomme Stencil. Herbert Stencil, né en 1901. Son père est mort en 1919 dans d'obscures circonstances alors qu'il enquêtait sur des soulèvements dans l'île de Malte. De temps en temps, Stencil lit quelques passages du journal intime laissé par son père. Ce n'est qu'en 1945, à une terrasse de café à Oran, qu'il tombe sur ces lignes : "Avril 1899, Florence. Personne n'aurait soupçonné qu'il pût y avoir autant de choses derrière V., et dans V. Qui est V.? Ou plutôt qu'est-ce que V.? Dieu veuille que rien ne m'oblige jamais à apporter une réponse à cette question, que ce soit ici, ou dans quelque rapport officiel que ce soit."

Bien évidemment, il faut répugner à dire ici que ce livre est le récit des différentes investigations qui vont jeter Stencil sur les traces de V. Ce serait vouloir identifier le lieu commun à toutes les littératures. Mais il est bon que de temps à autre un écrivain nous rappelle à ce devoir têtu, fût-ce en nous faisant croire, tour à tour, que V. est une jeune femme déflorée au Caire; une femelle de rat, dénommée Véronique, qui tient ses quartiers dans les égouts de New York; une danseuse allemande pré-nazie dans le Sud-Ouest africain; un pays mystérieux appelé Vheissu; ou encore une lesbienne du boulevard de Clichy.

Pour le moment, préférons cette première approximation due à l'auteur lui-même : "Ce que sont pour les libertins les cuisses ouvertes, ce qu'est un vol d'oiseaux migrateurs pour l'ornithologue, ce qu'est la tenaille pour l'ajusteur, voilà ce qu'était pour le jeune Stencil la lettre V." (V. page 3).

L.P. de Savy

A lire :

V., L'Homme qui apprenait lentement, Vente à la criée du lot 49, L'arc-en-ciel de la gravité, Vineland, Mason & Dixon (tous au Seuil).

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